- CAPA (R.)
- CAPA (R.)CAPA ROBERT (1913-1954)Robert Capa avait à peine vingt-cinq ans lorsque, en décembre 1938, le magazine anglais Picture Post présenta, sur onze pages, un choix de ses dernières photographies ainsi que son portrait sous lequel courait en légende: «Le plus grand photographe du monde: Robert Capa.»La formule fit fortune, et Capa — qui venait de passer deux ans en Espagne et en Chine comme reporter de guerre — devait «couvrir» par la suite la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’indépendance d’Israël et celle d’Indochine, où il trouva la mort. Il fut tué, le 25 mai 1954, par une mine, sur la route de Thai-Binh (Nord-Vietnam), alors qu’il photographiait les troupes au combat. Tombé en soldat au milieu des soldats, le photographe de guerre se muait en héros-martyr, à qui l’on attribua à titre posthume la croix de guerre avec palme à l’ordre de l’Armée, une des plus hautes distinctions françaises.Originaire de Hongrie, comme tant d’autres grands photographes (Moholy-Nagy, Kertész, Brassaï...), Andrei Friedmann — tel était son nom — se lança, encore adolescent, dans le journalisme qui cristallisait ses deux grands centres d’intérêt: la littérature et la politique. Ses amis Eva Besnyo et Layos Kassac le confrontèrent aux œuvres des photographes engagés du mouvement hongrois Szciofoto qui avait été grandement influencé par des photographes américains, tels Jacob O. Riis et Lewis Hine, préoccupés de justice sociale. Expulsé de Hongrie à dix-sept ans, pour agitation politique contre la dictature de Horthy, Capa se rendit à Berlin, où il suivit les cours de l’université des sciences politiques. Pour gagner sa vie, il se tourna vers la photographie: son premier travail publié dans le Berliner illustrierte Zeitung est le reportage qu’il effectua le 27 novembre 1932 sur Léon Trotski à Copenhague. Il travailla également, comme opérateur, à l’agence Dephot qui fournissait des photographies à la plupart des grands illustrés berlinois. L’agence Dephot représentait la majorité des grands photographes d’actualités (Felix H. Man, Walter Bosshard, Harold Lechenperg...) et défendait une nouvelle vision du reportage, celle qui s’intéressait davantage aux hommes et donnerait naissance à des magazines comme Life et Picture Post .En 1933, Capa fuit l’Allemagne nazie et vient travailler à Paris. La situation mondiale troublée des années trente, l’intérêt de Capa pour les combats politiques — et aussi son engagement personnel dans la lutte contre les fascismes et toutes formes d’oppression — le conduisent au reportage politique: il photographie, au début de sa carrière, les grèves et les manifestations du Front populaire (1936). Puis Capa est envoyé, pour Vu et Regard en Espagne. C’est là qu’il fixa pour la première fois les scènes tragiques qu’il devait par la suite voir sans cesse se répéter. La photographie intitulée L’Homme et la guerre , qui représente un soldat républicain, en chemise blanche, tombant sous les balles, près de Cerro Murriano, est devenue l’une des plus célèbres photographies du monde. La légende commence à dépasser le réel: avec Gerda Taro, une photographe de presse dont Capa était tombé amoureux à Paris et qui allait devenir sa femme, il invente le pseudonyme — furieusement américain — Robert Capa. Le couple suit la guerre pendant un an, travaille ensemble et écrit un livre intitulé Death in the Making . Gerda ne le verra pas paraître: elle disparaît, écrasée par un char, dans la confusion d’une retraite. Dès lors, Robert Capa, le reporter, l’homme passionné, l’observateur pénétrant et impliqué dans les bouleversements du monde, se fixe comme tâche de témoigner sur le malheur que les hommes créent eux-mêmes: la guerre.Jusqu’à la dernière photo — le lieu où il sauta sur une mine en franchissant un fossé —, les planches contacts de Robert Capa présentent une continuité narrative, une poursuite du «moment décisif», selon la formule chère à Cartier-Bresson, avec lequel il créa l’agence Magnum en 1947. Conflit après conflit, Capa prit les mêmes images de la guerre dans son uniformité et où, en dépit de la mort, la vie continue: fureur des combats, comme celles parmi les plus fortes et les plus intenses que l’on ait prises du Débarquement, le 6 juin 1944, mais aussi repos des hommes derrière les lignes, préparatifs à l’assaut, réfugiés aux maisons détruites par les bombes, civils fuyant devant l’avance des troupes ennemies, alertes de raids aériens, blessés, cadavres, décombres.Capa ne manque pas d’exprimer son affection véritable pour les gens, sa vive compréhension et sa sympathie pour toutes les victimes de la guerre. «Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près», aimait-il dire souvent, en bon journaliste professionnel, à ses amis photographes. Mais, au-delà de l’humour, de l’ironie, de l’attitude désinvolte qu’il avait vis-à-vis de son propre courage, il possédait une grande force d’émotion qui l’amena à dire: «Ce n’est pas toujours facile d’être là tout près, incapable de faire quoi que ce soit, sinon témoigner des souffrances autour de soi.»Son œuvre compte cependant quelques images de paix: photos de la vie des rues parisiennes, des fêtes de la Libération et des boîtes de strip-tease, des enfants dans l’après-guerre du Japon et de nombreux amis célèbres: Hemingway, Picasso, Gary Cooper, Ingrid Bergman.Étroitement lié à tous les grands événements du milieu du siècle, Capa lui appartient tout entier, par son témoignage humaniste comme par le mythe du grand reporter qu’il contribua largement à fonder.
Encyclopédie Universelle. 2012.